La relance du centre-ville constitue une priorité du nouveau conseil municipal. Nous l’avons compris lorsque la mairesse France Bélisle a mis l’accent sur ce sujet dans son discours d’allocution. Plusieurs actions ont dès lors été entreprises pour que nous assistions enfin à leur concrétisation. En septembre 2021, la publication du Plan de relance du cœur du centre-ville de Gatineau, rédigé par Rues principales, a retenu mon attention. La vision projetée de notre centre-ville dans ce document fait rêver. En tant qu’architecte et citoyenne engagée, je ne vous cache pas mon désir de voir notre centre-ville mixte, vivant, fourmillant et attractif. La dynamisation de celui-ci passe par son offre commerciale, mais principalement par l’augmentation de sa population. Cet objectif était déjà identifié dans le Plan particulier d’urbanisme (PPU) original de 2010. Cependant, les cibles méritent d’être revues et réévaluées, puisque le contexte a changé : la pandémie a tout chamboulé avec le départ massif des fonctionnaires, la crise du logement exacerbe le marché et le manque de logements abordables et coopératifs est criant.
L’horizon de planification de 15 ans énoncé pour le PPU du centre-ville se termine donc en 2025. Sa révision est-elle entamée? Sinon, quand débutera-t-elle? À mon avis, la refonte du PPU est primordiale, car le document est désuet. Bien que la vision générale demeure pertinente (les secteurs de préservation, de consolidation de restructuration, ainsi que les hauteurs des bâtiments), l’absence de flexibilité quant au règlement de zonage rend le développement des projets difficile, voire impossible.
Les contraintes de règlements de zonage applicables dans les anciens quartiers du centre-ville, plus précisément dans les secteurs où les maisons allumettes et les autres petits bâtiments étroits bien représentatifs de la trame urbaine de l’Île de Hull se situent, sont en majorité les mêmes que dans tous les autres secteurs de la ville. Cependant, pour l’échelle de ces terrains, ces règlements sont démesurément contraignants. Après plusieurs années d’expérience dans la conception et la rénovation de bâtiments à Gatineau, j’affirme sans hésiter que le développement du centre-ville de Gatineau est ralenti par la rigidité des exigences du zonage et de l’instruction pour la réduction du nombre de dérogations. Sur l’Île de Hull et dans plusieurs autres cœurs de villages à Gatineau, nous retrouvons des terrains d’une largeur de 5 à 10 m. Il n’est pas isolé de voir des règlements de zonage exigeant la construction d’un bâtiment d’une largeur d’au moins 12 m sur un terrain de 10 m. Pourquoi cela? De surcroît, il ne faut pas oublier les exigences pour la marge de recul des escaliers, les distances à respecter entre le stationnement et le bâtiment, les aires minimales d’agrément, etc. La liste s’avère très longue. Pour renchérir, en plus de toutes ces règles, il faut prévoir un stationnement souterrain ou en structure pour les bâtiments de 6 logements et plus. Je ne connais aucun projet viable pouvant respecter cette contrainte. Ces règles rendent-elles impossible la construction sur ces terrains? La difficulté de mener à terme la construction de logements dans ce secteur est bel et bien réelle. Entre 2009 et 2019, 22 725 logements furent construits sur l’ensemble du territoire gatinois[i]. De ce nombre, seulement 1 518 étaient situés au centre-ville[ii]. En 2016, 3,58 % de la population gatinoise résidait au centre-ville contre 4,01 % en 2021[iii]. En réalité, un centre-ville devrait accueillir environ 8 % de la population globale. L’atteinte de cet équilibre idéal requerrait de doubler la population au centre-ville de Gatineau, ce qui est actuellement utopique. Ces données confirment que malgré une croissance extrêmement lente du nombre de résidents dans ce secteur, les citoyens favorisent toujours les secteurs plus souples en termes de règlementation aux quatre coins de la ville et, par ricochet, l’étalement urbain au détriment des quartiers plus âgés.
Je pousse mon questionnement plus loin : les seuls projets viables et réalisables au centre-ville sont-ils des projets de tours d’appartements situés sur de grands terrains? Que faire du parc immobilier vieillissant de maisons allumettes? Perdrons-nous une partie de notre patrimoine au profit de projets à plus grande échelle? Il ne faut pas se cacher qu’actuellement, la seule solution possible consiste à jumeler des terrains entre eux pour ainsi changer le gabarit des bâtiments et éviter la lourdeur administrative qui mène souvent à l’abandon de projets.
Si la Ville de Gatineau présente la relance du centre-ville comme une priorité pour les prochaines années, il faut sans équivoque que le PPU soit actualisé. Ce dernier doit permettre de faciliter la conception et le développement des projets de tout genre au centre-ville. On n’a qu’à lever les yeux pour saisir que la densification se fait principalement sur les axes Laurier, Maisonneuve, Montcalm et dans le quartier Zibi. Que faire du cœur de l’Île de Hull? Ce secteur offre pourtant un potentiel de densification non négligeable si une approche de densification douce est mise de l’avant et encouragée. Ce type de densification représente la construction sur de petits lots de bâtiments multifamiliaux s’intégrant à l’échelle de leur quartier. Avec ses 6 nouvelles résidences construites sur un terrain de 600 m2, le projet The Hintonburg Six situé dans le secteur du même nom à Ottawa en est un bon exemple[iv]. Ainsi, en favorisant la diversification des types de bâtiments et de logements au cœur de l’Île, il serait possible d’attirer des occupants aux profils variés dans ce secteur et de rythmer le tissu urbain. À Gatineau, les logements situés dans un bâtiment à échelle humaine (duplex, triplex ou quadruplex) ont la cote auprès des familles. Avec leurs entrées individuelles au lieu d’un corridor commun, ces derniers ont ainsi un coût de construction moins élevé, puisque leur structure peut être conçue en bois.
À la lumière des éléments cités précédemment, il est essentiel que les élus mettent rapidement en place des solutions favorisant la relance du centre-ville de Gatineau. La révision du PPU n’est plus une option : elle devient aujourd’hui une priorité.
Sophie Lamothe, architecte associée
A4 Architecture + Design Inc.
[i] Bilan des demandes de permis, Site web de la Ville de Gatineau
[ii] Bilan du PPU, été 2021, Ville de Gatineau
[iii] Calcul élaboré suivant une consultation des sites web de la Ville de Gatineau et de Statistiques Canada
[iv] http://colizzabruni.com/Projects/TheHintonburgSix.asp